Deux architectes, trois volets créatifs, une infinité de projets transdisciplinaires.

Corpus Studio

Par Louise Conesa

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Ronan Le Grand et Konrad Steffensen • © François Coquerel

Lorsque Ronan Le Grand et Konrad Steffensen se rencontrent, ils sont tous deux architectes et partagent une vision particulière de leur discipline. Ils l’abordent de manière émotionnelle, la considérant comme une base pour explorer et réunir d’autres disciplines. Ronan, travaillant dans la scénographie événementielle, entraîne bientôt Konrad dans cette aventure. De là découlent des aménagements d’appartements et d’intérieurs, ouvrant au duo la voie vers une grande diversité de réalisations. C’est ainsi que Corpus Studio voit le jour, une agence où ils affirment une esthétique à la fois sensible et rationnelle.

Dès sa création en 2017, le studio s’est construit autour de trois piliers créatifs : l’architecture, l’intérieur et le mobilier. Mais l’architecture est davantage une inspiration, une manière de penser et de créer les espaces et le design. Elle guide le dessin pour créer une unité cohérente. Le nom « Corpus » n’est alors pas le fruit du hasard. Signifiant « corps » en latin, il souligne l’importance d’une harmonie et d’une réflexion sur les échelles et les proportions. « Il y a aussi l’idée du « corpus », de recueil de documents. Pour générer un projet, il est important pour nous de puiser dans des sources extérieures à l’architecture ou au design », explique Ronan. Qu’il s’agisse d’images, de films, de matériaux ou de leur propre expérience, ce regard vers d’autres horizons est sans doute ce qui distingue les projets de Corpus Studio. « La scénographie nous a naturellement conduits vers les intérieurs, influençant notre perception des espaces », confie Konrad. Alors que leur formation en architecture leur donne une vision sur le volume, la mise en scène les pousse à examiner de plus près les matériaux et les textures. Il ne s’agit plus seulement de réaliser des projets beaux et confortables, mais de réaliser aussi des images marquantes. Leur dernier projet en témoigne : un pied-à-terre près de la tour Eiffel. Si leur âme d’architecte les incitait à décloisonner et à ouvrir l’espace, ils font finalement le choix de conserver la distribution et de jouer sur une mise en scène théâtrale. L’ambiance est feutrée et chaleureuse, les matériaux variés mais subtilement repartis. Une mosaïque en pâte de verre habille la salle de bain, tandis que la cuisine, entièrement repensée en aluminium brossé, joue sur la lumière et les textures. Dans leur rigueur minimaliste, les deux créatifs apportent toutefois de la profondeur et de l’animation à travers des formes géométriques audacieuses dans la création de mobilier sur mesure.

Au fil de leurs projets d’intérieurs, Corpus Studio a commencé à dessiner des pièces intégrées avec le souhait de développer une gamme de mobilier propre, cette fois avec une approche plus libre et créative. C’est ainsi qu’en 2022, leur première pièce, la chaise BB, voit le jour. Elle incarne leur approche du mobilier, avec une forme fondée sur la répétition d’éléments et un jeu d’assemblages, mettant en valeur l’aluminium, seul matériau employé. « Il y a quelque chose d’assez fort dans l’utilisation d’un seul matériau, car nous pouvons repousser ses limites », note Ronan. Pour la collection BB, les architectes se sont ainsi intéressés à la finesse du métal, le travaillant d’une manière innovante. Alors qu’il est généralement plié, l’aluminium est ici fondu puis coulé dans un moule en sable, conservant alors la texture du grain et ajoutant une dimension poétique à la collection. Cette utilisation unique les amène également à travailler des matériaux inhabituels, qui se suffisent à eux-mêmes. Après la collection Apollo en pierre de lave, dévoilant une texture surprenante grâce à l’émail craquelé, Corpus Studio poursuit l’exploration de la monomatière avec la nouvelle collection Platane. Réalisée avec Mono Édition, elle se construit autour du bois de platane. « Nous voyons le platane au quotidien, pourtant nous le connaissons peu dans le domaine de la décoration », explique Ronan. Avec ce veinage unique, presque tigré, les architectes font le choix de travailler les courbes, les angles pour donner à leurs pièces une silhouette organique. De la table basse à la lampe, en passant par la bibliothèque, le duo explore cette essence à toutes les échelles, en mettant en avant le principe constructif d’assemblage d’éléments. Une approche caractéristique qui laisse pleinement s’exprimer la matière.

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3 questions à Corpus Studio

Qu’est-ce qui vous attire dans l’utilisation d’un seul matériau pour vos collections ?

Sur les trois collections que nous avons réalisées, nous avons de manière assez spontanée eu recours à un matériau unique. Cela nous permet d’avoir une compréhension approfondie de ses caractéristiques, de son potentiel et de ses limites. Ce choix nous pousse à explorer des techniques innovantes de mise en œuvre, comme dans la sculpture où le matériau devient une composante essentielle de la forme et de la fonction de chaque objet, plutôt qu’un ajout décoratif apposé a posteriori.
Nos designs visent aussi une certaine épure ; le choix de concevoir des objets monomatière correspond certainement à cette philosophie, presque monacale. En nous concentrant sur un matériau, nous mettons en avant l’essence et la simplicité de l’objet, ce qui accentue sa présence et son impact visuel. Le rapport entre forme et matière devient essentiel et indissociable.
Le développement d’une collection implique également une recherche d’unité. L’utilisation d’un seul matériau forge une identité visuelle facilement identifiable, tout en garantissant une cohérence esthétique.

Utilisez-vous également un matériau spécifique pour chacun de vos projets d’intérieurs ?

Pour chaque nouveau projet, nous partons autant que possible d’une page blanche, en évitant de répéter systématiquement les mêmes stratégies ou matériaux afin de préserver notre processus créatif. En revanche, nous nous efforçons de travailler avec une palette restreinte de matériaux, pour renforcer la pertinence et la cohérence du concept. En limitant leur nombre, nous pouvons créer une esthétique unifiée qui valorise les qualités intrinsèques de chaque élément.
L’architecture ou l’architecture d’intérieur revêt cependant une complexité d’éléments à incorporer et une variété d’usages qui nécessitent l’emploi de matériaux multiples. Le défi consiste alors à assembler, composer et juxtaposer ces différentes matières. Il nous semble souvent plus intéressant de jouer sur les contrastes plutôt que de rechercher une continuité.
Nous sommes particulièrement intéressés par la confrontation des matériaux, une approche qui ajoute selon nous une dimension supplémentaire et une dynamique enrichissante à nos projets. Nous cherchons à introduire des combinaisons inattendues, souvent en jouant sur des contrastes marqués : une surface lisse face à des textures rugueuses, une courbe suave opposée à un angle vif, ou encore l’association d’un matériau noble avec un matériau industriel. Ces interactions produisent des espaces où les matériaux ne se contentent pas de remplir une fonction, mais participent à une conversation visuelle et tactile. Cette approche permet de concevoir des environnements que nous espérons non seulement esthétiques, mais également empreints de poésie.

Y a-t-il un matériau que vous souhaitez travailler prochainement ?

Nous nous efforçons toujours de sourcer des matériaux qui se distinguent par leur originalité. À l’amorce de chaque projet, la recherche et l’exploration de matériaux sont des éléments essentiels de notre processus créatif.
Actuellement, nous expérimentons des techniques de fonderie de verre. Comme pour notre mobilier en fonte de métal, où un seul moule peut donner naissance à des formes plus ou moins complexes, le verre offre des possibilités analogues avec des résultats assez captivants.
La transparence du verre permet de jouer avec la lumière de manière fascinante en la captant, la réfractant et la diffusant, transformant ainsi l’espace. Il est assez rare qu’un matériau puisse avoir un impact aussi fort sur le lieu dans lequel il s’insère. Ce qui nous intéresse particulièrement dans l’emploi du verre, c’est qu’il génère des illusions de profondeur et de mouvement, tout en devenant interactif et évolutif en fonction des variations de lumière au fil de la journée. Il nous entraîne aussi par ses reflets dans une certaine rêverie, une évasion qui nous détourne du réel. Un matériau profondément poétique.

photos : Salon triplex, Corpus Studio, Hauts-de-Seine, 2021 © Christophe Coënon