En France, les matériaux de construction représentent 50 à 75 % de l’empreinte carbone d’un bâtiment tertiaire sur cinquante ans. En tant qu’architectes, nous sommes investis d’une responsabilité considérable. Pour faire face à l’urgence écologique, nous sommes amenés à repenser non seulement nos pratiques architecturales, mais également le grand récit de l’architecture, qui s’inscrit dans un ensemble de croyances anthropocentrées, héritage de la pensée dualiste moderne. C’est un changement radical de paradigme pour un métier qui était essentiellement dominé par des sujets techniques, esthétiques, culturels.
Concrètement, nous inscrire dans cette démarche implique de réexaminer toute la chaîne de production des matériaux : depuis l’extraction ou la production de la matière première, jusqu’à sa transformation et sa fin de vie, en passant par son transport.
Dans l’Antiquité, noblesse des matériaux rimait avec rareté et exotisme, reflet de la puissance d’un empire. Avec la modernité, l’industrialisation de la construction a accompagné la recherche de performance, essentielle pour assurer un cadre bâti à une population en forte croissance. D’où la standardisation qui en a découlé. Aujourd’hui, nous renouons avec des matières et des savoir-faire vernaculaires, ce qui suppose une attention renouvelée à l’environnement local du projet. De plus, le recours au local réduit les émissions dues au transport et développe des filières françaises et européennes.
Néanmoins, le choix du matériau seul ne suffit pas : nous considérons aussi son mode de production. Préférer le biosourcé, en ayant recours à des produits biodégradables et renouvelables comme la laine ou la paille, nous permet de nous insérer dans un cycle. Si nous avons recours au bois, il est essentiel que son utilisation s’accompagne d’une gestion raisonnée des forêts dont il est issu. Une forêt monospécifique, par exemple, ne peut pas créer un biotope stable et durable. De plus, les matériaux biosourcés sont en général capables de stocker une quantité de carbone supérieure à celle émise pour leur transformation.
Cela nous amène à la question du recyclage et du réemploi. Le réemploi évite l’extraction de nouvelles matières premières et économise de l’énergie : lors d’une opération de réhabilitation, par exemple, les matériaux de déconstruction peuvent être réinjectés directement sur site. Mais surtout, recycler valorise des composants qui étaient considérés comme des rebuts.
Nous intégrons ainsi dans notre méthode un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes d’un projet pour que l’orientation vers le care et le repair ne soit pas perçue comme punitive ou restrictive. Émerge de ce mouvement un rôle nouveau de l’architecture, qui est à la fois de produire de nouvelles esthétiques désirables, mais aussi de faciliter les prises de conscience, des investisseurs aux futurs usagers. Cette nouvelle dimension de notre métier est passionnante, parce que nous devons enseigner et apprendre à faire différemment simultanément.