Litholâtrie ou le culte oublié des pierres

Par Victor Fleury Ponsin

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• Above: Veilleuse, Victor FLeury Ponsin • © Amedeo Abello

Dans nos sociétés contemporaines, la pierre est trop souvent réduite à un simple matériau de construction, un élément inerte au service d’une esthétique ou d’une fonctionnalité. Pourtant, il est essentiel de rappeler une vérité oubliée : la pierre est vivante.

« La pierre, loin d’être morte, vit d’une vie active, obscure et lente peut-être, imperceptible à nos sens, mais mesurable cependant et quasi éternelle. » - Bulletin de la Société de Géographie d’Alger, J. Desparmet, 1923.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, de nombreuses cultures considéraient encore la pierre comme une matière divine, lui attribuant une dimension spirituelle et symbolique profonde. Des rocs et des formations naturelles sont devenus des objets de vénération, véritables points de connexion entre l’humain et le sacré.

Pour les Grecs, ces pierres établissaient un lien direct avec Gaïa, la Terre, incarnation même de la nature nourricière et protectrice. Dans d’autres cultures, comme celles du Proche-Orient, les monolithes, appelés « bétyles », étaient perçus comme des « maisons de Dieu ». Ces pierres sacrées n’étaient pas simplement des éléments matériels, mais des incarnations divines, des témoins muets du divin, offrant guidance et protection. Ces croyances ont forgé un respect profond envers la pierre, perçue non seulement comme un matériau, mais comme une entité vivante, porteuse de pouvoir et de sens.

Aujourd’hui, nous l’avons réduite à un rôle purement décoratif ou utilitaire. Pourtant, un marbre met 150 millions d’années à se former. Témoin silencieux des bouleversements géologiques, il porte en lui une mémoire que nous ne devons ni ignorer ni banaliser. Sans nécessairement lui attribuer une valeur sacrée, nous avons le devoir de lui témoigner un respect profond, tant dans sa sélection que dans son usage.

Designers, architectes et artisans jouent un rôle fondamental. Choisir une pierre ne peut être un acte anodin : chaque bloc a traversé les âges, vu naître et disparaître des civilisations. La pierre est un patrimoine vivant ; nous devons la traiter avec considération et intelligence pour préserver le dialogue entre l’homme et son environnement. Trop souvent, nous la réduisons à sa couleur, ses veines ou ses propriétés techniques, la privant ainsi de son essence. En la confinant dans des designs rigides et unilatéraux, en la recouvrant parfois de vernis pour mieux la figer, nous l’étouffons.
Le créateur ne peut concevoir un projet sans comprendre profondément la matière avec laquelle il travaille. Il doit être au service de la pierre, et non l’inverse. Artisans et designers ne sont pas là pour dompter la pierre, mais pour la révéler. Bien que cette dernière soit une substance pensante, c’est par le dessin, la taille et la sculpture qu’elle retrouve une place cohérente dans notre environnement.

En insufflant une nouvelle impulsion à la pierre, l’artisan et le designer doivent veiller à respecter son identité et honorer le rôle sacré qu’elle a joué à travers les âges. La pierre n’est pas qu’un matériau ; elle est un témoin vivant du passé, une empreinte du temps, une présence divine que l’artisan honore par son savoir-faire et que le designer doit célébrer par sa créativité et sa sensibilité. •