Faire corps avec le bois.

Xylomancia

Par Louise Conesa

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Sirènide, Amaury Darras, 2024 © Samuel Fabia



Vêtement ou objet ? Difficile de définir les mystérieuses créations d’Amaury Darras, alias Xylomancia. Pour ce jeune créateur et ébéniste, ce sont des sculptures portables, conçues pour envelopper le corps et ne faire qu’un avec lui. Rencontre avec un alchimiste du bois, qui défie les classifications.

Il y a une forme de magie dans la transformation du bois. Sous les mains d’un menuisier, il se révèle : ses veinures, ses nœuds, son âge, ses irrégularités. Mais aussi par son vieillissement naturel souvent imprévisible. C’est dans l’atelier de son grand-père qu’Amaury Darras découvre très jeune l’univers du bois et s’y attache viscéralement. Une formation à l’École Boulle, des années de copies et de prototypage plus tard, il s’interroge sur le métier.

« Depuis mon plus jeune âge, je voulais être designer mais pas forcément de mobilier », confie-t-il. Le bois l’attire, c’est indéniable. Il en collectionne longtemps les essences sous forme de placages, fasciné par leurs nuances. Mais progressivement, son rapport au matériau change. Il cherche à le défier, à créer un lien plus physique, plus direct avec le corps humain. C’est en détournant les codes de l’ébénisterie, en les transposant naturellement dans le champ de la mode, qu’il trouve son terrain d’expression. Une passerelle entre deux univers que tout semble opposer, mais où le geste, la technique et le dessin occupent une place centrale.

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Pour parvenir à ces créations qui épousent le corps, Amaury Darras développe un processus minutieux où la connaissance de la matière est de rigueur. À première vue, ses pièces semblent sculptées d’un seul bloc, et c’est là toute la magie du menuisier. Comme un styliste, il commence par créer un patron à l’échelle 1 en bandes de carton. « La résistance naturelle du carton me permet de construire plus fidèlement les volumes, de les composer à volonté et ainsi d’anticiper les possibles contraintes », explique-t-il. C’est alors, une fois le dessin adéquat, qu’il assemble le bois, facette par facette, reprenant la technique de la marqueterie pour créer des formes organiques et arrondies.

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« On pense souvent qu’il s’agit d’une impression 3D ou parfois de cuir. Il était important que j’utilise un matériau connu dans l’imaginaire collectif », explique le jeune créateur. C’est donc vers la ronce de noyer français qu’il s’est tourné pour créer ses pièces. Une essence capricieuse, extraite aux jonctions des racines et des branches, mais dont les dessins et la teinte brune appellent le regard. Amaury Darras en tire un trompe-l’œil saisissant, recomposant une continuité visuelle parfaite, jusqu’à donner l’illusion d’une pièce unique. Un habit ou une armure qui s’apparente à une seconde peau.

Vêtement, objet d’art, installation… Les créations d’Amaury Darras échappent aux catégories. Elles prennent sens au contact des corps, quels qu’ils soient. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a choisi pour nom Xylomancia, un art divinatoire fondé sur l’observation du bois. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : faire surgir une forme presque comme par magie et l’interpréter. Finaliste du 40e Festival de Hyères cette année, le créateur suit un chemin singulier, porté par sa dévotion au bois. Vers la mode aujourd’hui, vers le mobilier demain, ou ailleurs. Là où le défi du matériau l’appelle. •

photos : Sirènide, Amaury Darras, 2024 © Samuel Fabia • Wooden suit, Amaury Darras, 2024 © Quentin MKA